Né le 09 Juin 1902 à Pointe à Pitre en Guadeloupe et décédé le 15 Mars 1988.Il a été médaillé de la résistance officier la Légion d'honneur.
Il est membre de la première et de la seconde Assemblée constitutive en Guadeloupe.
Maire de Pointe à Pitre en 1947 et conseiller général
Député de la Guadeloupe de 1946 à 1955.
Agent commercial, il s'affirme dès la fin des années vingt comme un des principaux responsables de la fédération socialiste Guadeloupéenne.Secrétaire de la SFIO et candidat de ce parti en 1928, dans le deuxième canton en 1932 et en 1936. Il est au premier rang des manifestations de la gauche durant le Front populaire , il est élu maire en 1935 puis conseiller général de Pointe à Pitre le 25 Mai 1937.
Valentino est bouleversé par la défaite de la France en juillet 1940.Il refuse l'armistice, il revendique l'appartenance des colonies à la France et réclame donc l'impôt du sang durant la guerre. Il est arrêté par le gouverneur SORIN le 24 juin 1940, il est condamné pour outrage et rébellion à six mois de prison et 50 francs d'amende.Transféré tout d'abord de la maison d'arrêt de Pointe à Pitre au Fort Richepanse, puis au Fort Napoléon , il est ensuite envoyé en Martinique pour comparaître devant le tribunal militaire permanent le 21 janvier 1941 pour avoir "porté atteinte à l'intégrité du territoire national" en temps de guerre.Acquitté, il est arrêté le même jour et interné administrativement. Ramené au fort Napoléon, il sévade et, repris est conduit en Guyane où il est enfermé dans des conditions particuliérement difficiles au bagne et à l'île du diable. Il est libéré le 19 Mars 1943, grâce au ralliement de la Guyane à la France libre , dans l'obédience du Général Giraud. Mais il est fidèle au Gaullisme, il refuse le poste de secrétaire général du Gouvernement de Guyane. Assigné à résidence à CAYENNE. Il est pris en charge par les américains qui cherchent à accélérer le ralliement des Antilles françaises à la France libre car l'agitation ne cesse de s'y développer.
Débarqué clandestinement en Guadeloupe par un navire américain, Valentino tente d'organiser un soulévement qui échoue dans la nuit du 03 au 4 juin. Il doit alors fuir et se réfugier à la Dominique. Le 09 juillet, il revient clandestinement et participe activement à l'organisation du soulévement qui aboutit à l'effondrement du régime de Vichy dans l'île cinq jours plus tard.
Extrait de discours : Paul VALENTINO
(Assemblée Nationale Constituante, 14 mars 1946)
Mesdames, messieurs
Je suis le messager de l’une des quatre colonies qu’il vous est proposé de classer comme départements.
Quelques instants vous suffiront pour faire un sort aux propositions qui vous sont soumises, mais c’est seulement dans quelques mois que vous pourrez juger votre décision dans toutes ses conséquences.
Ce n’est pas la première fois que de telles propositions sont présentées à une assemblée française et, si vous acceptiez celles d’aujourd’hui, ce ne serait pas la première fois que ces colonies se trouveraient élevées au rang de département.
Au moment où la France se montre inquiète et nerveuse de sentir que certaines populations coloniales gagnent à la…. je pense qu’il ne serait pas mauvais pour elle de méditer la politique coloniale qu’elle a pratiquée dans le passé ; peut-être y trouveraient-elle des enseignements qui éclaireraient sa route.
Quant à moi, fils d’une terre associée à l’histoire de la France depuis longtemps), au point que Jaurès en a pu dire qu’elle est « un morceau de l’histoire de France palpitant sous d’autres cieux » ; fils d’une terre où les français s’établirent en 1523 pour la première fois, chaque fois que j’ai voulu remonter aux origines de mon pays, j’ai parcouru toute l’histoire de la colonisation française. Ce voyage que j’ai fait bien souvent, je crois qu’il m’a laissé quelque expérience.
Qui donc, faisant un tel voyage, ne trouverait pas quelque message laissé dans un recoin de l’histoire ? J’en ai rapporté, pour ma part, la conviction que la politique de la France fut généreuse. Elle le fut longtemps et il fallut le capitalisme pour modifier cette politique française.
Si nous consultons la charte que Richelieu concédait à la « Compagnie des isles d’Amérique », le 12 février 1635, nous lisons dans son article 3 :
« Les dits associés feront passer aux isles dans vingt ans du jour de la ratification qu’il plaira à Sa Majesté de faire desdits articles, le nombre de 4000 personnes au moins de tous sexes ou feront en sorte que, par elle, le plus grand nombre y passe dans ledit temps ».
Et à l’article 11, nous lisons :
« Les descendants des français habitant les dites isles et les sauvages qui seront convertis à la foi et en feront profession seront censés et réputés naturels français capables de toutes charges, honneurs, successions, donations, ainsi que les originaires et régnicoles, sans être tenus de prendre lettres de déclaration ou naturalité. »
Ainsi donc à l’origine de la colonisation française, la politique de la France tendit vers l’assimilation des personnes. Les colonies avaient leurs esclaves certes, mais la métropole avait ses serfs. Et c’est pourquoi, au cours de la première Révolution, Robespierre, le 12 mai 1791, à une séance de l’Assemblée nationale, pouvait dire à ceux qui contestaient aux hommes de couleur libres le droit de concourir à la formation des assemblées coloniales.
« Avant tout, il est important de fixer le véritable état de la question. Elle n’est pas de savoir si vous accorderez les droits politiques aux citoyens de couleur, mais si vous les leur conserver, car ils en jouissaient avant vos décrets. »
« Les gens de couleur, étant citoyens des colonies et ayant, par les lois anciennes…. » - j’appelle à votre attention sur les mots : « par les lois anciennes »-...non abrogées par vos décrets sur la qualité de citoyen actif, les mêmes droits que les colons blancs, doivent partager cette initiative. »
Cette politique de la France fut bonne. Et je crois qu’il suffirait aujourd’hui à notre pays d’en reprendre l’esprit et de s’en inspirer pour recouvrer la sérénité et raffermir son destin.
Malheureusement il poursuit une politique inaugurée par Napoléon, élaborée dans la couche de Joséphine, et que le capitalisme l’oblige à poursuivre.
A partir du moment où la France, cessant d’envoyer ses enfants s’établir dans les colonies, se contenta d’y faire des investissements de capitaux, le capitalisme courbé sous ses directives inhumaines toute la politique coloniale de la France, et c’est contre cette politique coloniale que les représentants des territoires d’outre-mer qui siègent ici entendent s’élever.
Certes à la différence de ceux qui ont pris l’initiative de la proposition de loi que nous discutons, je ne pense pas qu’il faille aller vers une assimilation administrative. J’estime que la politique des partis républicains a du bon et qu’elle devrait tout simplement se transposer sur le plan de la politique coloniale pour inspirer les décisions de notre Assemblée que je crois tout de même animée des sentiments révolutionnaires aussi profonds, aussi fervents, aussi évidents que ceux des assemblées révolutionnaires du passé.
Si les élus des peuples coloniaux qui siègent dans les assemblées locales pouvaient contribuer à l’organisation de la vie économique de leurs territoires, les liens affectifs qui unissent ces populations à la France s’en trouveraient resserrés.
L’expérience que j’ai acquise dans les fonctions électives que j’ai remplies me montre que c’est parce que le sort des colonies se trouve décidé à Paris, sur la base d’informations insuffisantes, et quelquefois sur les conseils de services qui n’ont pas les mêmes préoccupations que les élus coloniaux, qu’il y a tant d’âpreté à l’heure actuelle dans les revendications coloniales.
J’ai la conviction intime qu’une assimilation qui remettrait désormais au Gouvernement central la responsabilité totale du destin des peuples coloniaux finirait par porter atteinte aux liens sentimentaux qui les unissent à la métropole.
C’est en raison de la fraude électorale que les assemblées coloniales, dont le recrutement fut si souvent truqué, n’ont pas pu mettre en œuvre la politique voulue par les populations, ce que les véritables élus du peuple n’auraient pas manqué de faire.
Aujourd’hui que trempés dans la résistance à l’oppression vichyste, ces peuples montrent une combativité interdisant au Gouvernement de leur imposer des représentants qui ne soient pas de leur choix, je crains qu’une assimilation excessive ne les prive de l’exercice d’un pouvoir politique qu’ils ont déjà conquis, puisque les colonies dont nous parlons en ce moment n’ont envoyé ici que des communistes et des socialistes. Croyez-vous que la maturité politique de ces populations ne les incitera pas demain à juger, comme vous le feriez certainement vous-mêmes les conséquences des décisions que vous allez prendre aujourd’hui ?
Ne sentez vous pas que la domination exercée par les services ministériels sur les décisions gouvernementales amènera parfois le Gouvernement à prendre des mesures en retard sur les aspirations populaires ? Ce sera alors contre le gouvernement métropolitain que s’orientera la colère des masses
Je sais qu’il est parfois difficile de faire son devoir. A parler toujours de sincérité, on se met en flèche et l’on est frappé de suspicion. Vous savez quel est mon attachement à la France, et s’il me faut quelquefois heurter certains sentiments pour traduire les suggestions que me dicte cet attachement, je le fais sans aucune hésitation.
D’avoir profondément médité le problème pour mon territoire, me permet aujourd’hui d’attirer l’attention de mes collègues sur la nécessité d’aborder avec sang-froid, avec clairvoyance, les questions qu’il s’agit de résoudre actuellement.
On cherche des références dans le passé et l’on dit : « Un sénateur de la Martinique, un sénateur de la Guadeloupe avaient, il y cinquante-six ans, réclamé l’assimilation que nous demandons aujourd’hui.
On remonte plus loin encore et l’on déclare que l’assemblée coloniale de la Guadeloupe, en 1836, avait exposé une semblable revendication. Non! Certes, l’assemblée coloniale de 1836 était composée de colons esclavagistes. Le régime censitaire ne permettait, en effet, qu’aux esclavagistes de trouver place dans les anciennes assemblées coloniales.
Ce que réclamaient les membres de cette assemblée coloniale de 1836, c’était le droit d’établir souverainement un budget parce qu’ils avaient le sentiment que, détenant le pouvoir politique, ils sauraient, mieux que l’autorité métropolitaine, servir leurs propres intérêts.
Mais aujourd’hui que, par le jeu de la démocratie et par l’application des principes du suffrage universel , on peut dire que le prolétariat gouverne les assemblées locales, ne sentez-vous pas que cette même revendication sera aussi dictée à la classe prolétarienne par ses intérêts ?
Voilà comment la question se pose en ce moment.
Lorsqu’on me rappelle les propositions de loi de MM. Lagrosillière et Boisneuf, je ne peux oublier que M. Lagrosillière a siégé au palais Bourbon de 1914 à 1939 et que, ayant acquis de l’expérience, il n’a plus insisté pour faire aboutir la proposition qu’il avait élaborée.
Je me rappelle aussi que Boisneuf qui, en 1915, avait signé une proposition analogue, prenait une position contraire en 1922, dans son Manuel des conseillers généraux des colonies. Au conseil général de la Guadeloupe, dont il était le président il faisait en 1925, adopter une motion qui infirmait sa position initiale.
Que dit Boisneuf dans la préface de son ouvrage, écrite en 1922, sept ans près sa proposition d’assimilation intégrale ? Il dit :
« Nous ne saurions, sous peine de périr, nous contenter d’un pseudo-régime d’autonomie financière ou budgétaire. »
Il ajoutait :
« Qui dit autonomie, dit pouvoir propre de décision. Nous ne voulons nous payer de mots, laisser appeler autonomie ce qui ne saurait qu’assujettissement, laisser qualifier de décentralisation ce qui ne saurait que déconcentration ».
Paul VALENTINO et la loi d'assimilation
En dépit d’une longue et fort riche carrière politique, le nom de Paul VALENTINO est désormais systématiquement associé au souvenir des débats qui ont abouti au vote de la loi du 19 mars 1946 classant les quatre vieilles colonies de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion en départements français.Pour les besoins de la propagande, au plus fort des joutes électorales qui l’ont opposé à ses ennemis jurés communistes, ces derniers n’ont eu de cesse de le désigner comme le seul opposant à cette loi dite d’assimilation. A telle enseigne que, dans la mémoire collective, les uns louent volontiers les qualités exceptionnelles de ce visionnaire qui fut le seul à prévenir des effets pervers d’une législation qui ne pouvait que plomber notre avenir, tandis que d’autres s’entêtent à en faire le seul obstacle à ce qu’ils qualifient de la forte aspiration populaire de 1946.
C’est oublier un peu vite que cette loi fut votée par l’Assemblée Constituante à l’unanimité, autrement dit qu’elle fut bel et bien votée en l’état par le député socialiste guadeloupéen Paul Valentino. Il fut, certes, le seul élu des colonies à s’opposer aux modalités contenues dans le projet de loi initial et le seul à tenter d’y inclure des amendements visant à en atténuer la teneur avant de se résoudre, en dernier ressort, à y renoncer. Mais l’a-t-il fait de sa seule initiative ou répond-il ainsi à des directives émanant de son parti, la SFIO ?
Ses prises de position au cours de ces débats lui vaudront d’être qualifié par ses adversaires politiques, dans la droite ligne de ses engagements antérieurs de 1940 et de 1943, de « mauvais français » et de « séparatiste ». Or, Paul Valentino ne peut souffrir pareille accusation lui qui, en maintes circonstances, s’est toujours présenté comme un authentique « fils d’une terre associée à l’histoire de la France depuis longtemps », lui qui, dès le 1er juillet 1940, déclare :
« Français nous sommes, Français nous voulons rester », citant volontiers au passage Jaurès évoquant « ce morceau de la France palpitant sous d’autres cieux ».
Pourtant, que faut-il penser des propos tenus dans ce télégramme qu’il adresse au Gouverneur Sorin le 9 juillet 1943, lui faisant savoir qu’il venait de rentrer en Guadeloupe pour « exercer les fonctions qui lui étaient légalement dévolues » et quand, peu après, il déclare au sein de l’Assemblée locale que « nous sommes parvenus à la maturité politique, d’où l’obligation légale pour l’Administration d’accepter la tutelle du Conseil Général. Et si elle s’y refusait, nous devrons, fut-ce par la force populaire, la contraindre d’accepter cette tutelle » ?
Dès lors, faut-il y déceler les prémisses d’un double jeu qui se profile à travers ces apparentes contradictions et qui se poursuit, sous une forme néanmoins édulcorée, tout au long des débats de mars 1946 ?
Paul Valentino a lui-même apporté un embryon de réponse à cette double interrogation en affirmant ceci : « Je crois avoir pénétré l’âme du peuple de mon pays. Je le crois capable à la fois d’énergie et de générosité ». Cette réponse, il ne cache pas l’avoir trouvée dans l’Histoire de la Guadeloupe que, selon lui, des hommes qui revendiquent l’honneur de la représenter n’ont pas le droit d’ignorer car dans son passé est inscrit le présage de l’avenir.
Et il n’aura de cesse de le démontrer dans ses interventions à l’Assemblée Constituante, ce qui lui vaut les foudres de tous les élus des colonies et, en particulier, d’Aimé Césaire, le rapporteur du projet de loi d’assimilation.
La polémique entre les deux députés prend d’emblée une forte connotation historique : S’appuyant parfois sur l’évocation des mêmes faits et des mêmes processus, Césaire et Valentino divergent sur leurs interprétations :
La revendication d’assimilation se justifie, aux yeux de Césaire, par les vœux à répétition formulés par les représentants des quatre vieilles colonies. Ainsi, il se réfère à une délibération du Conseil Colonial de la Guadeloupe de 1838 réclamant, pour les populations antillaises, le droit d’être « soustraites à l’exception coloniale et d’être dans le droit commun des Français ».
Cet argument est réfuté par Paul Valentino pour lequel cette Assemblée Coloniale était composée de colons esclavagistes car la loi censitaire ne permettait pas d’autres membres en son sein. Or, selon lui, ce que réclamaient ces colons, c’était le droit d’établir souverainement un budget parce qu’ils avaient le sentiment que, détenant le pouvoir politique, ils sauraient mieux que l’autorité métropolitaine servir leurs propres intérêts.
Aimé Césaire s’appuie également sur les propositions faites au Sénat, en juillet 1890, par MM. Isaac et Allègre, respectivement Sénateurs de la Guadeloupe et de la Martinique, en vue du classement de ces deux îles en départements français. Il se réfère, enfin, aux démarches similaires émanant, en 1915, de M. Lagrosillière, député de la Martinique et de M. Boisneuf, député de la Guadeloupe et, de nouveau, du député martiniquais Lemery, en 1919, enfin aux nombreux vœux des assemblées locales de ces deux colonies, réclamant l’assimilation.
Paul Valentino n’en fait pas la même analyse, attestant tout d’abord que M. Lagrosillière qui siégea au Parlement de 1914 à 1939, ne renouvela jamais sa proposition de 1915. Il cite surtout, en guise d’illustration, le cheminement d’Achille René-Boisneuf qui, dès 1922, dans son « Manuel des Conseillers Généraux des colonies »adopte une position contraire à sa proposition de 1915 et va jusqu’à faire adopter par le Conseil Général de la Guadeloupe dont il était le Président une motion infirmant sa position initiale. En effet, sept ans après sa revendication d’assimilation intégrale, René-Boisneuf déclare que « nous ne saurions, sous peine de périr, nous contenter d’un pseudo régime d’autonomie financière ou budgétaire. Que nous ne voulons laisser appeler autonomie ce qui ne serait qu’assujettissement, laisser qualifier de décentralisation ce qui ne serait que déconcentration. En effet, Boisneuf estime alors que l’institution progressive des libertés locales et le renforcement graduel des pouvoirs spécifiquement locaux sont des nécessités vitales pour les colonies ».
Valentino, qui affirme que l’enseignement de Boisneuf n’a pas été perdu pour lui, se fait donc le fidèle interprète de sa conception de l’assimilation. Ce qui s’impose à ses yeux c’est un renforcement des pouvoirs des assemblées locales et non point une assimilation qui aurait pour conséquence une réduction de ces pouvoirs. Ce que revendique Paul Valentino en 1946 c’est que l’assimilation des personnes devienne la ligne directrice de la politique française dans l’ensemble des territoires coloniaux.
Il justifie son point de vue par de nouvelles références à l’histoire de la politique coloniale qu’il qualifie de « généreuse » par essence, mais « dévoyée par le capitalisme ». L’assimilation des personnes, il la perçoit déjà dans la charte que Richelieu concède à la Compagnie des isles d’Amérique en 1635 pour prendre possession de la Guadeloupe, charte qui fait de « tous les habitants de cette île et de leurs descendants, des naturels français ». Il la retrouve dans les propos de Robespierre qui, en 1791, se réfère aux « lois anciennes » pour faire accorder les droits politiques aux citoyens de couleur.
Valentino estime que la politique de la France pour ses colonies fut bonne jusqu’à ce que Napoléon, influencé par Joséphine, inaugure une ère où la France cesse d’envoyer ses enfants s’établir dans les colonies, se contentant d’y faire des « investissements de capitaux ». Pour lui, dès cette époque, le capitalisme a « courbé sous ses directives inhumaines, toute la politique coloniale de la France ». Ce sont donc ses seuls intérêts qui ont primé et l’on s’est dès lors plus soucié de plus-values et de rentabilité que d’assimilation.
Ce seul critère suffit, aux yeux de Paul Valentino, à récuser la notion d’assimilation administrative telle que la préconise Aimé Césaire dans son projet de loi. Ce dernier, en effet, affiche sa volonté d’éviter une assimilation qui ferait des anciennes colonies des « départements diminués et d’exception ». Il refuse tout amendement visant à subordonner l’application des lois à la demande expresse de l’assemblée locale car, selon lui, « ce serait la négation de l’assimilation vu qu’une assemblée locale serait, d’une part, soumise à l’emprise d’une féodalité agissante, donc n’aurait pas toujours l’indépendance désirable pour l’application d’une politique progressiste et démocratique et, d’autre part, libre d’opérer une sélection parmi les mesures prises par l’Assemblée Nationale ».
Paul Valentino s’inscrit en faux contre de telles assertions. Pour étayer son argumentation, il cite Perrinon qui déclarait, en 1848, que « si dans les colonies les progrès de la civilisation n’ont pas été plus rapides, ce n’est pas aux populations qu’il faut s’en prendre mais à l’administration métropolitaine ». Selon Valentino, si les élus des peuples coloniaux siégeant dans les assemblées locales pouvaient contribuer à l’organisation de la vie économique de leurs territoires, les liens affectifs qui unissent ces populations à la France s’en trouveraient resserrés. Il estime que c’est parce que le sort des colonies se trouve décidé à Paris où les informations sont insuffisantes et où les services n’ont pas les mêmes préoccupations que les élus coloniaux, qu’il y a tant d’âpreté dans les revendications coloniales. Et, à ce titre, Paul Valentino lance une mise en garde solennelle lors du débat parlementaire sur l’assimilation : « j’ai la conviction intime qu’une assimilation qui remettrait désormais au gouvernement central la responsabilité totale du destin des peuples coloniaux, finirait par porter atteinte aux liens sentimentaux qui les unissent à la métropole ».
Et à Césaire qui affichait son pessimisme sur l’opportunité de confier des responsabilités à des assemblées locales aux mains de la ploutocratie, Valentino rétorque que si ces assemblées locales n’ont pu mettre en œuvre la politique voulue par les populations, c’est en raison de la fraude électorale et du recrutement si souvent truqué des élus. Il préfère, lui, une vision plus optimiste qui permettrait aux « vrais élus » d’y remédier.
Cet optimisme, il l’a forgé en observant la combativité des peuples coloniaux pendant la guerre, interdisant au gouvernement de leur imposer des représentants qui ne soient de leur choix. D’où sa conception qu’une « assimilation excessive priverait ces peuples de l’exercice d’un pouvoir politique » qu’ils ont déjà conquis et même concrétisé au lendemain de la guerre en envoyant à l’Assemblée Nationale des élus socialistes et communistes. D’où sa crainte qu’une domination exercée par les services ministériels sur les décisions du gouvernement n’amène celui-ci à prendre des mesures en retard sur les opérations populaires avec le risque d’orienter la colère des masses contre ce même gouvernement métropolitain.
Mais, c’est dans le domaine social et économique que les divergences entre Césaire et Valentino sont les plus nettes. Pour Aimé Césaire, « les Antilles ont besoin de l’assimilation pour sortir du chaos social qui les guette et menace gravement la paix publique ». Evoquant le fait que l’ouvrier y est à la merci de la maladie, de l’invalidité et de la vieillesse sans la moindre garantie, indemnité ou allocation, il qualifie d’injustifiable la misère qui y règne. En effet, il estime « ces colonies livrées sans défense à l’avidité d’un capitalisme sans conscience et d’une administration sans contrôle ». L’assimilation intégrale est donc à ses yeux le remède à tous ces maux. Elle arracherait l’économie antillaise au monopole des quelques dizaines de familles qui la contrôlent et, surtout, elle permettrait d’y étendre les grandes nationalisations opérées en France au lendemain de la guerre.
Le parti communiste guadeloupéen, par la voix d’Hégésippe Ibéné, apporte à l’époque des précisions à ce propos lors de débats qui se tiennent au Conseil Général: « Nous sommes pour une assimilation totale, pour l’assimilation financière et administrative car, à partir du jour où nous aurons l’assimilation complète, c’est le budget de l’Etat qui prendra en charge la réfection des routes, ce qui permettra de mettre en valeur des terres considérables qui restent en friche faute de routes et de moyens de locomotion ».
C’est en s’appuyant sur l’exemple guadeloupéen que Paul Valentino tente, en vain, de faire prévaloir son hostilité à l’assimilation financière. Selon lui, le retard en matière de lois sociales y incombe à l’insuffisance de pouvoirs du Conseil Général. Evoquant le vote par le Conseil Général de la Guadeloupe, en 1945, d’une réglementation qu’il juge en progrès sur celle de la France, il signale que ce vote ne peut prendre effet qu’après sanction du gouvernement. Or, il estime que, depuis 1928, le Ministère des colonies n’a cessé de faire preuve d’une carence impardonnable, abusant des décrets applicables d’autorité dans la colonie, mais il s’oppose aux propositions d’Aimé Césaire lorsqu’il suggère qu’il en soit de même pour les décrets. Pour lui, lorsque des décrets doivent déterminer les modalités d’application d’une loi sociale, c’est aux assemblées locales qu’il appartient d’établir les règlements d’application. D’où son refus que toute la législation de la métropole puisse être automatiquement étendue à l’ensemble des colonies.
Sa position est, d’autre part, étayée par une autre analyse, celle concernant la situation économique de l’île. Valentino conteste en effet le tableau noir dressé à propos de l’économie car il estime que celle de la Guadeloupe n’était pas aussi mauvaise qu’on l’a prétendue. Ainsi, le budget de 1942 qu’il cite en exemple, s’est clôturé avec un excédent de 14 millions de francs. Et s’il déplore le déficit pour les années suivantes, il l’attribue à la gestion du Ministère des colonies qui, insuffisamment informé, a imposé à la colonie des dépenses de personnel qu’elle n’était pas disposée à payer comme les rappels de solde de militaires et de fonctionnaires vichyssois.
Valentino dénonce ouvertement la mainmise du gouvernement sur les Banques d’émission des colonies dont le capital a été confisqué et rapatrié avec les fonds de la Banque de France. Il dénonce la nationalisation de ces banques effectuée par le truchement de la Caisse Centrale de la France d’outremer. Et, à Césaire qui prône la nationalisation, il objecte que ce qu’il faudrait c’est seulement une socialisation qui, dans l’intérêt des masses coloniales, confierait à leurs représentants le soin de décider des questions qu’ils connaissent mieux que les fonctionnaires des services centraux. En un mot, ce qu’il souhaite clairement et prioritairement, c’est l’autonomie financière, condition sine qua non pour que la Guadeloupe soit libre de perpétuer ses échanges commerciaux avec le continent américain et la Caraïbe plutôt que d’être entièrement tributaire du commerce métropolitain.
Avec le recul dont nous disposons, il convient néanmoins d’atténuer cette rivalité apparente sur le projet de loi d’assimilation entre Césaire et Valentino. Il est très clair, en effet, qu’il n’y a pas de réelles divergences entre eux sur le fond puisque les réserves émises par Paul Valentino dans les nombreux amendements qu’il propose ne sont pas totalement absents dans l’esprit de la loi telle qu’elle est présentée par le rapporteur.
Simplement, alors que Césaire semble se contenter de principes et de garanties proposés par le gouvernement sur de futures adaptations de la loi aux réalités locales, Valentino, fort d’une plus grande expérience en politique, se montre plus méfiant. D’où une cascade d’amendements qui ont pour effet d’agacer Césaire qui dénonce les « manœuvres de M. Valentino destinées à faire de l’obstruction ».
Cette vision des choses est d’ailleurs en totale adéquation avec les prises de position de son parti, la SFIO dont la fédération locale semble être le seul groupe politique à avoir réellement cogité sur la question de l’assimilation. En témoignent les interventions richement argumentées des Conseillers Généraux socialistes au cours des discussions de cette assemblée au moment même où ont lieu les débats à Paris. Lucien Bernier, René-Paul Julan et Omer Ninine y défendent avec brio les mêmes concepts que ceux de Paul Valentino. Ainsi en réplique à Ibéné qui défendait l’option d’assimilation intégrale choisie par les communistes, Omer Ninine fait état des réserves de son groupe :
" Le groupe socialiste, soucieux de l'évolution tant matérielle que morale et sociale de la Guadeloupe, n'est pas opposé à l'Assimilation, mais son désir suprême c'est d'avoir des éléments en mains qui lui permettent de savoir quels seront les effets de l'assimilation sur la vie politique, morale et sociale de la colonie. Nous voulons être intégrés à la communauté française, nous voulons bénéficier de tous les bienfaits, mais il ne faut pas que l'on nous accorde un régime équivalent à des demi mesures.On veut nous assimiler, mais on ne nous donne aucune indication nette, aucune précision sur le mode d'assimilation. Ne nous engageons pas dans une voie sans savoir au préalable où elle conduit ».
En réalité, tous ces amendements, que Valentino finit le plus souvent par retirer à la demande du Ministre, sont en arrière fond sous tendus par des questions de stratégie politicienne et, parallèlement, c’est pour lui l’occasion d’afficher un double souci de dignité : d’abord vis-à-vis du parti communiste qui a pris l’initiative de cette loi en ayant soin de l’écarter de sa phase d’élaboration et, d’autre part, vis-à-vis du peuple guadeloupéen dont aucun député n’est co-signataire du projet de loi.
De toute évidence, Valentino est suspect aux yeux des communistes depuis la rupture de l’Entente Prolétarienne qu’il a provoqué en faisant battre le leader communiste guadeloupéen, Rosan Girard, lors des élections à la Constituante, et ce, en dépit des accords passés préalablement avec lui. Aussi, la Guadeloupe n’ayant pas d’élu communiste au Parlement, seul le Guyanais Gaston Monnerville est associé à l’élaboration du projet de loi d’assimilation par les communistes Martiniquais et Réunionnais alors qu’il aurait été logique d’y voir figurer au moins un élu de chacune des quatre vieilles colonies.
Valentino a, par conséquent, parfaitement compris le risque politique qu’il y avait à cautionner un processus dont les communistes ne tarderaient pas à se vanter. Aussi, sa tactique est-elle habile : sans donner l’impression de s’opposer au projet, ce que les communistes ne manqueraient, et d’ailleurs ne manqueront pas de lui reprocher, il multiplie les mises en garde, ayant parfaitement perçu les risques que l’on encourait à vouloir assimiler intégralement des territoires éloignés de la métropole.
La manœuvre est du reste tout bénéfice pour lui, car le réalisme et la clairvoyance dont il fait preuve seront avérés par les faits durant la décennie qui suit le vote de 1946. Clairvoyance qu’il manifestait déjà dès décembre 1945 devant l’Assemblée Constituante pour protester contre les effets désastreux de la dévaluation du franc sur l’économie des îles dont on n’a pas tenu compte :
« Nous sommes bien obligés de dire, précise-t-il alors, qu’il y a un grand intérêt à ce que les décisions du Gouvernement ne donnent jamais aux populations coloniales le sentiment qu’elles sont prises en tenant d’abord compte de l’intérêt de la France métropolitaine, l’intérêt de la France d’outre-mer ne venant qu’en seconde place.
La France dans le moment présent, a besoin de consacrer tous ses efforts à sa reconstruction …Ce n’est pas notre faute si nous ne sommes pas géographiquement dans l’orbite économique de la métropole. Nous eussions souhaité être soudés territorialement à elle. Mais nous n’avons pas choisi l’emplacement où notre peuple doit vivre, et il nous faut bien tenir compte des impératifs de la géographie. Je demande au Gouvernement d’en tenir compte lui aussi ».
En 1958, dressant un bilan négatif d’une décennie d’assimilation, alors que Césaire reconnaît désormais « s’être trompé et avoir été trompé », Paul Valentino peut se targuer d’être le seul élu à n’avoir pas changé d’un iota ses positions clairement affirmées dès 1946 :
« Pour avoir soutenu que tôt ou tard, l’Assimilation, telle qu’on la concevait conduirait à la désaffection envers la France, tout le monde me traitait de mauvais Français et de séparatiste… L’Assimilation, après 10 ans, a vu le pays se dresser contre elle. Son bilan est négatif, mais complètement. Moi je ne fais aucune concession. Même au point de vue social, l’Assimilation ne nous a absolument rien apporté ».
Aussi, en guise de conclusion, et bien que son cheminement sous la Ve République ne soit exempt de tout reproche, il serait malgré tout difficile de ne pas apprécier à leur juste valeur ses qualités de visionnaire.
Il les avait déjà exprimées en 1940 en choisissant la France Libre contre Vichy. Il le fait de nouveau en 1946 à propos de l’assimilation : oui à celle des personnes au nom des liens historiques tissés entre le peuple guadeloupéen et la France, non à l’assimilation administrative et financière qui, selon lui, nuiraient à ces mêmes liens sentimentaux car elle implique des mesures édictées hors du pays par des hommes ignorant les réalités locales et, de ce fait, inaptes à décider en toute objectivité. En définitive, son expérience de la chose publique d’avant-guerre peut permettre d’expliquer ces qualités de visionnaire.
Dès lors faut-il, comme le préconisait notre regretté ami Max Chartol, entériner réellement un débat sur ses éventuels « rendez-vous manqués avec l’Histoire » dont il n’aurait pas saisi les opportunités ?
En dépit des apparences, Valentino s’inscrit malgré tout en permanence dans une logique assimilationniste et il s’y tient contre vents et marées. Mais obnubilé par le souci de jouer sa carte personnelle, il ne peut se laisser enfermer dans un système à même de broyer ses ambitions : en 1943-1944, sa démarche avait consisté à valoriser un exécutif local aux mains des élus locaux. Conscient du charisme dont il jouissait du fait de son rôle dans la Résistance, une telle prise de position ne pouvait, en bonne logique, et en dépit d’un discours empreint d’abnégation, que le mettre en première ligne. On peut en dire autant à propos du débat sur la loi d’assimilation de 1946. Valentino s’en sert avec la même habileté pour affiner une stratégie dictée par des impératifs spécifiquement guadeloupéens mais, surtout, subrepticement « valentinistes ».
En 1946, il a déjà récusé le bien-fondé de l’Entente Prolétarienne qui ne peut que desservir ses ambitions politiques à la tête de la municipalité pointoise et au Conseil Général dont son parti détient la présidence. Cautionner l’assimilation telle que la propose Césaire équivaudrait à offrir aux communistes un redoutable argument électoral pour le déstabiliser lui et son parti, la SFIO. Les communistes n’hésitent d’ailleurs pas à saisir cette opportunité, qualifiant Valentino « d’ennemi du peuple », de « fossoyeur de l’unité d’action » et de « professeur de confusion du social-fascisme ». Lui, dénonce à tout bout de champ leur « démagogie », les accusant d’avoir »livré en six lignes les populations antillaises pieds et poings liés à la bureaucratie métropolitaine ».
Dans un tel contexte, il lui incombe, comme une impérieuse nécessité conjoncturelle, de faire prévaloir une stratégie à laquelle l’histoire s’est chargée de donner tout son poids structurel. En effet, dès 1948, son journal Fraternité ne cesse de marteler des articles intitulés : Valentino avait raison. Raison d’avoir maintenu son attachement historique à la France. Mais surtout, d’avoir été méfiant vis-à-vis d’une assimilation qui ne cessa de le décevoir par la suite.
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